Documentation professionnelle

17. L’édition Carl Nielsen : avant – pendant – après
par Niels Krabbe, Research professor à la Bibliothèque royale de Copenhague, éditeur en chef de l’édition Carl Nielsen, traduction de Cécile Reynaud

Répertoire international de littérature musicale (RILM) présidé par Barbara Dobbs Mackenzie, RILM International Center of the City University of New York

Le contexte de cet article est la sortie, en mars de cette année, du 35e et dernier volume de The Carl Nielsen Edition, les œuvres complètes du compositeur danois Carl Nielsen. Le travail avait été commencé en 1994, financé par un mélange d’argent public et privé, pour un montant d’à peu près 42 millions de couronnes danoises (à peu près 7 millions d’euros).
Du fait de ces ressources publiques, mais tout autant du fait de la position dominante de Nielsen dans la culture musicale danoise comme le seul compositeur danois du passé internationalement connu, beaucoup d’attention (et aussi de critique) publique a accompagné le projet dès ses débuts – pour le meilleur et pour le pire.

Le projet fut lancé dans le contexte d’une sévère critique, parue dans la presse en 1993, du fait que les musiciens étrangers critiquaient la qualité du matériel musical lors d’une exécution à Innsbruck de l’œuvre la plus importante de Nielsen, l’opéra Masquarade, connu comme l’opéra national du Danemark. Cette polémique journalistique poussa le ministre de la culture de l’époque à demander à la Bibliothèque royale de mettre sur pied un projet pour réaliser une édition intégrale de l’œuvre de Nielsen, avec la promesse d’une aide financière substantielle. Avec une équipe d’éditeurs à plein temps et un rédacteur en chef, l’édition a probablement eu des conditions de travail financièrement meilleures que la plupart des autres projets européens de ce type, ce qui peut aussi expliquer que l’édition a été terminée dans l’espace de 15 années.

Trois conditions importantes ont marqué le projet à travers le temps :

  1. La disproportion entre l’importance de Nielsen dans la culture musicale danoise et la mauvaise qualité du matériel musical disponible avant 1998, année où The Carl Nielsen Edition publia son premier volume.
  2. Le rôle de Nielsen dans le discours musicologique courant sur le « danicisme » en musique.
  3. Le fait qu’autant d’argent public ait été mis à disposition pour ce projet.

Les cinq principes suivants ont ordonné le travail dès son commencement :

  • L’édition contient tous les ouvrages achevés par Nielsen, mais pas d’esquisses, d’œuvres inachevées ou d’arrangements d’œuvres d’autres compositeurs.
  • Les ouvrages sont publiés comme « Fassung letzter Hand » – c’est-à-dire qu’ils sont publiés dans la version que Nielsen, d’une façon ou d’une autre, a établie dans ses « dernières volontés » ou ses « déclarations d’intention ».
  • L’édition s’adresse à la fois aux chercheurs et aux musiciens.
  • L’édition est fondée sur une étude des sources disponibles, suivie par une évaluation des sources et une interprétation du texte musical.
  • La page de musique imprimée reflète une et une seule interprétation des sources ; les révisions de l’éditeur ne sont pas visibles graphiquement sur la page, et peuvent donc seulement être consultées dans les notes critiques qui suivent.

Maintenant que le projet est achevé, on peut se poser un certain nombre de questions, comme : cela valait-il toute cette dépense ? L’édition a-t-elle changé notre image de Nielsen ? Est-ce la musique de Nielsen a maintenant une plus large audience à l’extérieur ? Sommes-nous simplement plus éclairés qu’avant ? Pouvez-vous entendre les nombreuses révisions et corrections ?

Au lieu de donner des réponses détaillées à ces questions rhétoriques, on pourrait souligner que l’édition de Nielsen – comme les éditions de Hans Christian Andersen ou de Soren Kierkegaard – fait partie des obligations d’une nation envers son héritage culturel, quel qu’en soit le coût. Pour une fois, la confusion des strates que les générations précédentes ont ajoutées, pour différentes raisons, aux œuvres, a été démêlée et nous sommes arrivés à une version « pure ». De plus, le travail d’édition a révélé un nouveau point de vue sur ce qu’on pourrait appeler l’atelier du compositeur : nous en savons tout simplement plus sur les circonstances entourant la création de chaque œuvre. Et en fin de compte on peut constater très simplement : il est maintenant possible de consulter les 35 volumes si vous voulez étudier, parmi plus de 450, l’une des œuvres de Nielsen. L’ensemble de ces réponses donne une légitimité suffisante au projet.

Depuis la fin de l’édition, tant de nouvelles informations sont accessibles que le temps est maintenant venu pour une réévaluation de la personnalité de Nielsen et, tout autant, de la relation entre sa vie et ses œuvres. Nous avons atteint une étape dans la recherche sur Nielsen et – à une très importante exception près – il est aussi bien documenté que d’autres compositeurs d’égale importance ; l’exception est bien sûr le manque d’un catalogue thématique/bibliographique de sa musique. La rédaction d’un tel ouvrage est la tâche primordiale pour le futur proche et serait le couronnement du travail documentaire des 15 années précédentes. Quand cela sera fait, l’œuvre de Nielsen pourrait pour la première fois parcourir le monde pour y être librement utilisée et étudiée par les musiciens et chercheurs, sur des bases saines et solides.

Traduction par Cécile Reynaud,
Conservateur au département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France ;
de la version très abrégée de la conférence donnée au Congrès AIBM d’Amsterdam, 7 juillet 2009

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