Documentation professionnelle

8. Questions sur le droit d’auteur international : harmonie ou contrepoint

Depuis plusieurs années déjà les bibliothécaires musicaux sont conscients des problèmes de copyright dans l’exercice de leur profession. Dès 1994, au congrès d’Ottawa, un groupe se constitue ; on ne savait d’ailleurs pas, à ce moment-là, si on devait instituer un « Committee » ou un « Working Group ». Le « Copyright Committee » fut officiellement créé en 1996, pendant le congrès de Perugia.
Les buts de ce « Committee » n’étaient pas clairement définis : en fait, il s’agissait de réaliser une « veille juridique » comme on peut faire une « veille technologique ». Pendant les sessions des congrès suivants (1997-1999), les différents intervenants ont donc surtout donné des informations sur les systèmes législatifs de leur propre pays dans le domaine du droit d’auteur et on a très vite constaté les grandes différences qui existent non seulement entre l’Europe et les pays d’outre- Atlantique mais aussi, à l’intérieur même de l’Europe entre les pays du nord et les pays du sud.
Les pays du nord ont une tradition ancienne de bibliothèques réparties assez également sur le territoire et ont une forte tradition de pratique musicale amateur : la musique imprimée courante a donc toujours été présente dans les bibliothèques, d’une manière naturelle et précoce. Dans les pays du sud, un certain nombre de bibliothèques publiques détiennent des fonds musicaux historiques, traités comme des documents d’archives ; la musique imprimée courante est surtout présente dans les bibliothèques de conservatoire et les bibliothèques spécialisées, elle fait une timide et récente apparition dans les bibliothèques publiques. A cela, il faut ajouter, au-delà des différences linguistiques, une grande différence de mentalité juridique.
En 2000, au congrès d’Edinburgh, on est passé à des sujets plus concrets, en organisant une session jointe avec la branche professionnelle des bibliothèques de conservatoire, dont Federica Riva était la présidente. En 2001, sous le titre quelque peu provocateur « Le Droit de copie dans les bibliothèques musicales : une convention équilibrée est-elle encore possible ?… » nous avons pris connaissance des positions de trois organismes internationaux (OMPI-WIPOEBLIDAIFLA) puis une table ronde a réuni des représentants des différents acteurs de la « chaîne musicale » (compositeur, éditeur, bibliothécaire, interprète, producteur et … juriste). En effet, il nous a semblé primordial d’éviter qu’aucun de ces acteurs ne reste isolé dans sa profession ; seule la connaissance des intérêts des uns et des autres dans le but commun de servir la musique, le dialogue, peuvent débloquer la situation.
En 2001, à Berkeley, et devant l’urgence de la situation européenne (même si les autres continents ne sont pas épargnés…) on a procédé à une réorganisation du « Copyright Committee », approuvée par le conseil international de l’AIBM. Autour du président, simple coordinateur, Richard Chesser est maintenant le correspondant de l’AIBM au sein d’EBLIDA, et des responsables de zones géographiques étendues assurent un rôle d’information et de solidarité dans leur zone : Federica Riva est la responsable pour l’Europe du sud. Au cours du congrès, Anne Le Lay avait apporté un document rédigé par plusieurs associations de bibliothécaires français et envoyé à notre ministre de la culture ; ce document, assez clair et concis, exprimait seulement le souhait des bibliothécaires d’accepter cinq exceptions jugées essentielles pour la profession dans la future loi qui doit intégrer la dernière directive européenne, le tout, et c’était très important, sans agressivité aucune. Richard Chesser a traduit ce texte en anglais, afin d’en assurer une plus large diffusion, et l’a légèrement adapté à la documentation musicale. Ce texte est à la disposition de tous sur le site international de l’AIBM: (http://www.iaml.info/copyright_committee.php).

La situation en France

Le projet de loi sur le droit de prêt en bibliothèques, modification de la loi Lang et autres dispositions, a été présenté en première lecture au Sénat le 8 octobre 2002. On peut le lire sur le site du Sénat (http://www.senat.fr/dossierleg/pjl01-271.html) ainsi que le très intéressant rapport de Daniel Eckenspieller, fait au nom de la commission des affaires culturelles.
Une lecture rapide pourrait nous rendre très optimistes ; en effet, si notre législation a posé le principe du droit exclusif de l’auteur d’autoriser ou d’interdire le prêt de ses œuvres, la directive donne néanmoins la possibilité aux États membres d’y déroger « à condition que les auteurs au moins obtiennent une rémunération au titre de ce prêt ». Ainsi, cette loi assure « la création d’une licence légale afin d’assurer une sécurité juridique tant pour les auteurs et les éditeurs, ayant droit de l’auteur, que pour les bibliothèques », ce droit de prêter ne sera plus désormais susceptible d’être contesté. L’article L. 351-1 précise que « seules les œuvres imprimées sur papier et publiées sont ici visées. Le prêt d’œuvres sur d’autres supports demeure sous le régime du droit exclusif de l’auteur ».
Une partition musicale reste une œuvre imprimée… donc nous ne devrions pas avoir de problème MAIS, et c’est là toute l’ambiguïté du texte, ce même article précise le champ de la licence légale en le limitant aux œuvres de l’esprit telles que considérées au premier alinéa de l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques. Pas une seule fois le mot « musique » ne figure dans le texte.
Il faut rappeler la situation française en matière de droit de copie, situation décrite au congrès d’Edinburgh (abstract disponible sur le site international de l’AIBM). La Société des Éditeurs et Auteurs de Musique (SEAM) s’était préoccupée des droits de copie dès 1990 et avait proposé des conventions avec les conservatoires, bien avant que le Centre Français du droit de Copie (CFC) ne négocie lui-même globalement avec le Ministère de l’Éducation Nationale, deux partenaires autrement plus importants que la seule SEAM et les conservatoires pris individuellement. Le résultat actuel est que le tarif proposé pour les photocopies dans les conservatoires peut aller jusqu’à être 10 fois supérieur à celui pratiqué dans les écoles et universités.
Ce qui risque d’arriver pour le droit de prêt, c’est là aussi le traitement à part, et très défavorable, des partitions musicales. Il est vraisemblable que, lorsque la loi aura été votée et qu’elle sera appliquée pour les livres, la SEAM, se sentant volontairement exclue, se réveillera et réclamera sa propre licence légale … avec ses propres tarifs.
Un autre problème très épineux concerne les « autres supports ». Depuis quelques années déjà les bibliothèques françaises sont tenues d’acquérir les documents audiovisuels et multimédia auprès de sociétés qui ont négocié une autorisation de consultation et/ou de prêt. On peut bien sûr négocier directement avec les producteurs et les ayant droit, mais c’est vraiment très compliqué. Et pour les documents sonores ?… ces documents que nous prêtons sans problèmes, c’est-àdire sans nécessité d’autorisation ? Il semble que les producteurs sont en train de s’organiser à créer une nouvelle association (encore une !…) indépendante de laSACEM plus préoccupée à l’heure actuelle de gérer les droits de représentation dus au titre de la consultation, même individuelle, des documents sonores et d’internet en bibliothèques. Après, ils demanderont eux aussi la création d’une licence légale, mais à quel prix ?
En conclusion, il n’y a pas en France de risque d’interdiction de prêt mais il est clair que les documents musicaux, tant imprimés que sonores, etc. seront toujours traités à part. A nous de négocier afin d’obtenir des tarifications raisonnables. La connaissance et la comparaison des pratiques dans les différents pays de la Communauté européenne peut nous aider à argumenter et surtout à éviter de bloquer les négociations, ce qui se ferait toujours à notre désavantage et surtout, ce qui est pire, au désavantage de nos lecteurs.

Anne Le Lay

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