Documentation professionnelle

4. Des normes aux métadonnées

L’enjeu des nouvelles technologies pour l’indexation des documents musicaux

En se généralisant, les technologies numériques interfèrent largement sur les aspects intellectuels et physiques de l’accès aux documents musicaux. Elles rapprochent les références à des collections distantes de celles des documents consultables sur place ; elles associent tous les médias, accessibles eux-mêmes sur de multiples supports ou à distance ; elles confondent les données elles-mêmes et les informations complémentaires qui en assurent l’interprétation (biographies, chronologies, analyses d’œuvres…) ainsi que les métadonnées qui permettent d’y accéder et de les mettre en perspective.

1 A quoi veut-on accéder ?

Dans un contenu musical, les éléments auxquels il est pertinent d’accéder sont multiples en nombre, mais aussi divers en nature.
Les documents proposent une multiplicité de genres musicaux, de présentations et de supports ; les utilisateurs présentent une disparité d’usages et de niveaux d’expertise.
En outre, varient le domaine et le niveau de l’information musicale recherchée. Elle peut ressortir du contexte et du répertoire, de l’œuvre ou du matériau.

Les documents se rapportant à de la musique étant multiformes et l’information musicale elle-même complexe, les critères d’indexation nécessaires pour y accéder sont divers.

Certains (les critères dits signalétiques) sont extraits du document lui-même et plus ou moins reformulés : le nom des auteurs ou des interprètes, le titre des œuvres, l’année ou le lieu de la publication.
D’autres (les critères analytiques, les critères systématiques) proviennent d’une déduction ou d’une analyse des informations contenues : les formes, les thèmes, les fonctions… exprimées au moyen de nomenclatures ou thesaurus.
Ces données secondes, passent par une formulation linguistique : un vocabulaire, une syntaxe et une sémantique.
Il est d’autres types d’accès qui se réfèrent directement à des paramètres musicaux : timbres, hauteurs, durées, contours mélodiques. Ces données empruntent aux divers modes de formalisation de la musique : la notation ou la fixation des sons.

2 Comment peut-on y accéder ?

Les accès qui passent par une formulation de mode linguistique recourent aux outils d’indexation « traditionnels » de la documentation, aujourd’hui touchés par les profondes mutations. Ils pourraient retirer un bénéfice considérable des redéfinitions radicales qui affectent le traitement bibliographique : la maille des objets d’information manipulés, les liens entre données, le rapport des données primaires et secondaires…
Mais les nouveaux «modèles», tels les FRBR, reproduisent certains des schémas « livresques » de leurs aînés (ISBD par exemple). Dans le monde des bibliothèques, en effet, l’indexation documentaire a longtemps associé contenu et présentation matérielle (support) mais dissocié l’accès à l’information de la consultation du document lui-même. La problématique des métadonnées prend acte de la fin de ces frontières et appelle une nouvelle organisation d’objets d’information éclatés. Les bibliothèques musicales, après avoir travaillé à l’adaptation des normes et de formats bibliographiques aux notions musicales (titres uniformes d’œuvre, distribution d’exécution, matières musicales…), doivent s’engager aujourd’hui dans les réflexions nationales et internationales sur la modélisation des concepts ou des processus, la structuration des données et le balisage des documents et les outils d’interopérabilité.
La remise en cause est plus radicale encore si l’on accepte d’envisager en outre, au cœur des contenus, non plus le texte et les signes linguistiques, mais d’autres codes (la notation musicale) et les objets sensibles eux-mêmes, images et sons. Il s’agit, pour traiter du second type d’accès à l’information musicale, d’utiliser et d’interpréter les « balisages » inscrits avec les formes numériques de la notation musicale ou de la fixation phonographique et de faciliter le repérage, dans une partition ou un flux de sons, d’une séquence, d’un élément.
Est donc amorcée une réflexion plus prospective pour élaborer des outils logiciels permettant d’un côté la segmentation automatique et paramétrable d’un ou plusieurs programmes sonores en simultané et offrant, d’un autre côté, des modes graphiques de transcription visuelle des données sonores. Ainsi la comparaison et l’analyse d’enregistrements disposeraient-elles d’outils interactifs et de représentations mesurables.
En regard, les nouvelles technologies affectent aussi le contenu musical ou, du moins, son appréhension. Ils permettent que convergent des modes de consultation jusque-là fondamentalement étrangers : la « lecture » synchronique de la partition et la prise en compte temporelle de l’enregistrement. De nouveaux champs d’étude pourront se développer et, déjà, des domaines musicaux trouver leur valeur épistémologique : tous ceux liés à l’interprétation et à l’écoute, notamment.

3 Quels outils promouvoir ?

Pour la production des informations documentaires, s’impose l’utilisation des schémas de métadonnées. Comme jadis, avec les formats de description bibliographique, il en existe de généraux aux divers types de médias et de contenus (tel le Dublin Core) qu’il convient d’enrichir en informations indispensables pour accéder à des données musicales : à l’instrumentation, à l’interprétation et à sa fixation … Dans les schémas de structuration et d’encodage des éléments d’information qui sont en cours d’émergence (MPEG 7XML), les besoins de l’information musicale doivent également être définis.
En matière d’outils d’accès, il faut ajouter aux outils de recherche traditionnels (fichiers d’autorité, index ou thesaurus), des outils plus « libres » permettant le feuilletage et, surtout, des instruments adaptés au contenu musical (segmentation, montage, reconnaissance et extraction automatique d’éléments musicaux signifiants à partir de partitions ou d’enregistrements).
Les systèmes d’information doivent assurer la complémentarité et la solidarité, entre les données indexées et les données indexantes. Pour ce faire doivent être étendues aux informations musicales, les normes de structuration des documents (SDML ou Niff pour la musique notée) ou de stratégie de recherche (sur le modèle de TREC, text information retrieval).
Les interfaces de consultation doivent s’enrichir d’outils adaptés permettant la synchronisation et la comparaison : l’image de la partition et le flux de l’enregistrement, la représentation graphique du son etc.
Enfin, autre actif à porter à la généralisation des technologies numériques, l’interopérabilité, doit atteindre également les sources de données musicales et, notamment, permettre un travail commun entre les producteurs de l’information (auteurs, producteurs, éditeurs) et les documentalistes. Elle est aussi fondée sur l’adoption de normes partagées : des identifiants (ISMNISRCISWC) pour pister les objets musicaux échangés ; des protocoles d’interconnexion des systèmes (Z 3950).
Cette panoplie d’outils d’indexation et de recherche n’offrira un réel service standard aux usagers des lieux ou sites de documentation musicale qu’après que la technologie numérique aura investi non seulement le traitement bibliographique et la production des données secondaires (c’est largement le cas aujourd’hui) et, surtout, quand elle gérera plus largement l’information musicale elle-même, directement produite sous forme numérique ou transférée à la faveur de programmes de préservation ou de mise en valeur.

Glossaire

Dublin Core
Norme définissant un ensemble minimum d’éléments d’information caractérisant les ressources du Web et permettant d ‘y accéder facilement. Ce schéma est né au cours d ‘une réunion, tenue à Dublin (Ohio), en 1995, à l’initiative conjointe d’OCLC et du NCSA [National Center for Supercomputing Applications].
FRBR Functional Requirements for Bibliographic Records
Spécifications fonctionnelles des notices bibliographiques
Modèle conceptuel de données élaboré par un groupe d’experts de l’IFLA (Fédération internationale des associations de bibliothécaires et des bibliothèques) de 1992 à 1997.
ISBD International Standard Bibliographic Description
Cadre général défini par l’IFLA, à partir de 1977, pour la description bibliographique de tous les médias disponibles dans les bibliothèques. La musique imprimée (Printed Music) et les enregistrements sonores (une partie des Non Book Materials) ont fait l’objet d’une déclinaison particulière.
ISMN International standard music number (ISO 10957 )
Identifie toutes les éditions de musique imprimée quelles qu’en soient la présentation (partition, parties, notation électronique…) ou les modalités de diffusion (location, vente, hors commerce…)
ISRC International standard record code (ISO 3901)
Identifie les fixations de musique enregistrée.
ISWC International standard [musical] work code (ISO 15707)
Identifie les œuvres musicales.
MPEG Moving Picture Experts Group (ISO/IEC JTC1 WG29)
Groupe de travail commun à l’ISO (International Organization for Standardization) et à l’IEC (International Electrotechnical Commission), chargé de développer des standards pour l’encodage numérique des signaux audio et vidéo. Constitué en 1988, le groupe a entrepris un travail sur “Multimedia Content Description Interface” (MPEG 7), achevé en 2001.
Niff Notation Interchange File Format
Standard d’encodage numérique (modèle binaire) de la notation musicale, fruit d’une collaboration entre de grands producteurs de logiciels musicaux et d’experts de la notation/représentation musicale.
Développé hors des cadres normatifs, il est néanmoins un standard ouvert qui permet l’interopérabilité entre programmes musicaux implantés sur des systèmes différents.
SDML Standard Music Description Language
Langage de représentation de la notation musicale seule ou associée à du texte, des graphiques et à tout type d’information, notamment multimédia. La norme SMDL, entreprise en juillet 1995, a encore un statut de document de travail (ISO/IEC DIS 10743), en attente d’un complément qui la rende compatible avec l’architecture XML.
TREC Text Retrieval Conference
Groupe d’aide à la recherche en matière de génie linguistique, copiloté depuis 1992 par le National Institute of Standards and Technology (NIST) et le Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA).
XML eXtensible Markup Language
Schéma de balisage, spécifié en 1998 par le W3C (World Wide Web Consortium), pouvant s’appliquer à tout type d’information, qui précise comment définir la structure des données dans un document.
Z 3950 (ISO 23950)
Norme de Recherche automatique d’information qui définit un protocole d’interrogation de bases de données bibliographiques, documentaires ou autres, suivant un mode client-serveur. Elle s’appuie elle-même sur les normes de communication TCP/IP et se trouve de ce fait adaptée à Internet. L’agence de maintenance et autorité d’enregistrement est située à la Library of Congress.

Elizabeth Giuliani, adjointe au directeur du département de l’audiovisuel de la BnF

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