Documentation professionnelle

3. Les manuscrits musicaux sur Internet : un service précieux pour les chercheurs ? Gallica et le projet Philidor

Mercredi 21 juin 2006
Commission sur les services et la formation
Président : Wolfgang Krueger, Hochschule der Medien, Stuttgart

1. Le contexte du projet Philidor : Gallica

Gallica est la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France : elle constitue aujourd’hui l’une des plus importantes bibliothèques numériques gratuites en ligne. En juin 2006, Gallica comprenait :

  • 90000 volumes en format image
  • 1200 volumes en format texte
  • 80000 images
  • 500 enregistrements sonores

Un des principaux objectifs de Gallica est de rendre disponibles des documents difficilement accessibles, voire inaccessibles. La numérisation de la Collection Philidor répond parfaitement à cet objectif. La BnF numérise ses propres collections mais une importance de plus en plus grande est maintenant accordée aux projets partagés dans le cadre des Pôles associés :

  • soit pour compléter des collections incomplètes de la Bibliothèque (c’est le cas par exemple de laCollection Philidor)
  • soit pour compléter les compétences de la BnF dans des domaines spécifiques de la connaissance (par exemple, les mathématiques avec le projet Math’doc).

Gallica est une bibliothèque encyclopédique. Voici quelques exemples de programmes achevés ou en cours :

  • 600 incunables illustrés de la Réserve des livres rares de la BnF.
  • La France en Amérique : ce programme bilingue retrace l’histoire de la présence française en Amérique du Nord du XVIe siècle à la fin du XIXe siècle (en collaboration avec la Bibliothèque du Congrès de Washington).
  • Bibliothèques bibliographiques : une sélection de 50 usuels bibliographiques.
  • Revues et journaux : un des principaux projets pour Gallica est la numérisation de la presse quotidienne française des XIXe et XXe siècles, avec 3 millions de pages. La numérisation de grandes revues spécialisées est aussi en cours, souvent dans le cadre de projets partagés (publications des sociétés savantes, grandes revues scientifiques, périodiques en histoire de l’art).
  • Images : plusieurs projets dans le domaine des Arts sont détaillés ci-après.
  • Portulans : numérisation des 500 portulans de la BnF de la fin du XIIIe siècle au XVIIIe siècle.

Les domaines des Arts du spectacle et de la Musique sont de plus en plus présents dans Gallica. Actuellement, la collection numérisée peut être estimée à 600 volumes :

  • des livres de chant de la période révolutionnaire ;
  • des recueils de textes de chansons (la plupart sans musique) : chansons révolutionnaires et du XIXe siècle ;
  • une importante collection de livrets d’opéras français ;
  • les principales biographies et dictionnaires, par exemple : Fétis, Biographie universelle des musiciens ;Eitner, Biographisch-bibliographisches Quellenlexikon der Musiker und Musikgelehrten ;
  • des périodiques français comme La Revue musicale, La France musicale, La Tribune de Saint-Gervais ;
  • des images : 7691 portraits de musiciens (collection du Département de la Musique) ; le projet desGaleries théâtrales (planches lithographiées de la fin du XVIIIe siècle et du XIXe siècle représentant les comédiens et chanteurs dans des scènes du répertoire dramatique et lyrique).
  • des manuscrits musicaux : la Collection Philidor est le premier projet de numérisation de manuscrits musicaux de la BnF, en collaboration avec la Bibliothèque municipale de Versailles.

L’objectif de 2000 volumes numérisés auxquels il faut ajouter les documents iconographiques, devrait être atteint en 2008.

2. La  Collection Philidor : origine du projet

Constitution de la Collection Philidor

André Danican Philidor l’aîné  (ca 1652-1730) était musicien de la Grande Écurie, compositeur, et garde de la Bibliothèque de musique de Louis XIV. L’une de ses activités principales fut la collecte et la copie de la musique jouée à la cour de France depuis la Renaissance jusqu’au règne de  Louis XIV : ballets, divertissements, comédies-ballets… Il partageait la fonction de garde de la Bibliothèque de musique avec François Fossard. Tous deux copièrent plusieurs dizaines de volumes, assistés de copistes qui travaillaient dans leur atelier (1). Après la disparition de Fossard en 1702, Philidor constitua également des collections pour de riches mécènes comme le comte de Toulouse, fils illégitime de Louis XIV.
De la fin du XVIIe siècle à la Révolution française, les manuscrits musicaux des collections royales furent principalement conservés dans la bibliothèque musicale du château de Versailles. Pendant la Révolution, la bibliothèque du roi fut dispersée entre Versailles et Paris : quelques dizaines de volumes de la collection Philidor furent transportés à la bibliothèque du Conservatoire de Paris récemment créée, les autres demeurant à Versailles. A la bibliothèque du Conservatoire, 60 volumes furent inventoriés par l’abbé Roze, bibliothécaire, sous le nom de « Collection Philidor ». Cependant, bon nombre de volumes copiés par Philidor et son atelier furent oubliés dans cet inventaire.
Aujourd’hui, les anciennes collections de la bibliothèque du Conservatoire de Paris sont conservées au département de la Musique de la BnF. C’est donc le cas de la Collection Philidor. Celle-ci est maintenant incomplète, quelques volumes ayant disparu au cours du XIXe siècle. La Collection Toulouse-Philidor, rassemblée et copiée par Philidor et ses copistes à partir de 1703 pour le comte de Toulouse a été acquise par la BnF en 1978. Elle comprend plus de 80 partitions et les parties séparées correspondantes.
A la Bibliothèque municipale de Versailles, un ensemble de 55 volumes de la collection Philidor, transféré après la période révolutionnaire, est resté intact. Le Catalogue du fonds musical de la bibliothèque de Versailles élaboré par Denis Herlin et publié en 1995 (2) nous a permis de repérer facilement ces manuscrits.

Pourquoi numériser la Collection Philidor ?
L’objectif initial de ce projet était la reconstitution virtuelle de la Collection Philidor grâce à internet, à partir de l’ensemble conservé à la Bibliothèque nationale de France et de celui de la Bibliothèque municipale de Versailles. Bien entendu, ce projet était d’autant plus intéressant que cette collection était constituée de documents difficiles d’accès et très demandés par les musicologues et les musiciens. Enfin, le projet fut facilité par la qualité des manuscrits : qualité du papier, lisibilité de la copie à l’encre, qui ont permis la numérisation des documents sans difficulté majeure.

Contenu de la collection
La Collection Philidor de la BnF rassemble les balletsjoués à la cour, de François Ier à la jeunesse de Louis XIV, les premiers ballets de Jean-Baptiste Lully ainsi que ses comédies-ballets composées en collaboration avec Molière. On trouve aussi des ballets, mascarades, concerts, simphonies d’autres compositeurs : Philidor lui-même, Michel-Richard de Lalande, par exemple.
Les volumes ajoutés à la collection initiale comprennent la musique religieuse et les tragédies lyriques de Lully et des compositeurs de la cour ou proches de la cour : Marin Marais, Marc-Antoine Charpentier, et de la musique vocale de compositeurs italiens comme Giacomo Carissimi.
La Collection Toulouse-Philidor réunit des ballets et des tragédies lyriques de Lully, André Campra, Henri Desmarest, André Cardinal Destouches, ainsi que la musique religieuse composée pour la Chapelle du roi : motets de Lalande, Campra, etc.

Enfin, les volumes conservés à Versailles comprennent à la fois de la musique théâtrale et de la musique religieuse, avec par exemple les tragédies en musique de Lully et les grands motets de Lalande.

3. Le projet Philidor : étapes et aspects techniques

Le projet de numérisation s’est déroulé en trois phases :

  • à la BnF, la Collection Philidor a été numérisée (40 volumes) et versée dans Gallica (2002-2004) ;
  • à Versailles : la collection de manuscrits Philidor et de l’atelier Philidor a été numérisée et la bibliothèque numérique a été lancée et mise en ligne sur internet (2003-2005) ;
  • dans Gallica, un lien a été créé entre les deux collections.

Actuellement à la BnF, la numérisation des autres volumes copiés par Philidor ou son atelier, ainsi que ceux de la Collection Toulouse-Philidor est en cours (80 volumes au total).

Aspects techniques à la Bibliothèque nationale de France
La première étape est le catalogage des manuscrits dans le catalogue en ligne, BN-Opale Plus. Le lien avec les documents numérisés ne peut être généré qu’à partir des notices des documents. La numérisation des manuscrits est faite en parallèle, soit à partir de microfilms, soit à partir des documents originaux, lorsque, par exemple, l’écriture est trop fine ou trop claire. Quand la numérisation est effectuée à partir des microfilms, elle est réalisée en sous-traitance, alors que la numérisation directe est réalisée par le Service de reproduction de la bibliothèque.
Après retour des documents numérisés, il est nécessaire de contrôler la qualité du travail effectué.
Par la suite, on associe des Tables des matières aux images, permettant ainsi un lien direct entre les différentes parties des volumes et les images correspondantes. Les images sont ensuite transférées sur le serveur internet Gallica, avec une résolution de 500×700 pixels. Le lien entre les notices bibliographiques et les documents numérisés est enfin créé.

Une fois la numérisation effectuée et les différentes étapes franchies selon cette chaîne rigoureuse, nous avons travaillé à l’établissement du lien entre les collections de la BnF et celles de Versailles. Nous avons échangé les notices bibliographiques des deux catalogues (en les convertissant (3)) afin d’insérer des points d’accès dans chacun des catalogues vers les manuscrits numérisés de l’autre bibliothèque. Ensuite, le lien entre les deux sites internet a été généré par l’insertion de l’URL des images dans la notice bibliographique. Il est donc possible de trouver un manuscrit musical de Versailles dans Gallica et, grâce à l’URL, la connexion au site de la bibliothèque numérique de la Bibliothèque municipale de Versailles est immédiate. La recherche dans le sens inverse fonctionne de la même manière.

En conclusion, les principaux outils permettant une meilleure navigation, consultation et connaissance des manuscrits sont les suivants :

  • des notices bibliographiques complètes ;
  • à la BnF, un double accès aux documents numérisés : à partir du catalogue BN-Opale Plus et directement depuis Gallica ;
  • les Tables des matières jointes aux images ;
  • la présentation du projet dans Gallica, avec des informations complémentaires sur les collections Philidor de la Bibliothèque nationale de France et de la Bibliothèque municipale de Versailles ;
  • l’ajout de documents complémentaires : les livrets des ballets et des opéras conservés à la BnF ont été numérisés et sont présentés avec les manuscrits musicaux.

En réponse à la question initiale que posait cette communication, on peut affirmer que la numérisation de manuscrits musicaux précieux et difficiles d’accès offre aux chercheurs un réel service :

  • si les manuscrits sont clairs et bien lisibles, donc correctement numérisés ;
  • si des outils sont fournis pour permettre une bonne compréhension des documents et de leur contenu ;
  • si le chercheur n’a pas besoin de consulter le manuscrit lui-même pour une étude particulière sur le papier, les filigranes, l’encre : dans ce cas, le document numérique ne remplacera jamais le document original.

Adresses utiles
Bibliothèque nationale de France : http://www.bnf.fr/
Gallica : http://gallica.bnf.fr/
Catalogue BN-Opale Plus de la Bibliothèque nationale de France : http://catalogue.bnf.fr/
Bibliothèque municipale de Versailles : http://www.bibliotheques.versailles.fr/Statique/

Annexe
Exemple de dédicace au roi insérée par Philidor au début de plusieurs volumes de sa collection.
Dédicace de George Dandin Ou le Grand Divertissement Royal de Versailles Dancé devant sa Majesté le 15e Juillet 1668. Recueilly par Philidor laisnée En 1690.
BnF Musique, Rés. F. 526.

Laurence Decobert,
Département de la musique de la BnF


  1. Voir en annexe un exemple de dédicace placée par Philidor au début de plusieurs volumes de la collection. Il y explique clairement son dessein.
  2. Denis Herlin, Catalogue du fonds musical de la bibliothèque de Versailles. Paris : Publications de la Société française de musicologie : Éditions Klincksieck, 1995.
  3. Les notices de la BnF en format Intermarc sont converties en format Unimarc et inversement pour les notices du catalogue de la Bibliothèque municipale de Versailles.
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