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4. Compte-rendu de la session plénière du 27 avril 2005 : D’une directive européenne à un projet de loi par Michèle Battisti

Pourquoi avons-nous choisi d’aborder ce thème ?

Pour attirer votre attention sur le fait qu’un projet de loi sur le droit d’auteur et les droits voisins devrait être examiné très prochainement par le Parlement.
Ce projet doit transposer une directive européenne qui – d’après son titre – entend harmoniser les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information.
Dans la société de l’information, autrement dit dans l’environnement numérique.
Quant aux droits voisins, ils représentent les droits des artistes-interprètes mais aussi les droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, autrement dit de sons et d’images, et des entreprises de communication audiovisuelle.
L’obligation de transposition implique que l’on reprenne dans notre loi les dispositions de la directive qui n’y figurent pas encore.
La directive avait été adoptée le 21 mai 2001 et publiée le 21 juin 2001. Sa transposition devait être réalisée dans les divers pays membres de l’Union le 21 décembre 2002. Plusieurs pays l’ont fait mais nous ne sommes pas les derniers.

Comment sont adoptées les directives européennes ?

La plupart des directives – autrement dit – des lois européennes sont adoptées par un vote à la majorité qualifiée du Conseil des ministres, selon une procédure dite de codécision avec le Parlement européen.

Procédure :

diapositive Sources d’Europe (voir Annexe)

La Commission européenne élabore un projet de directive.
Ce texte, après avoir été adopté par l’ensemble des Commissaires est transmis en première lecture au Parlement européen.

Il est examiné et amendé ensuite par l’une des commissions du Parlement.
C’est cette nouvelle version qui sera soumise au vote des eurodéputés qui l’adoptent (ou le rejettent) à la majorité simple.

La Commission transmet le texte au Conseil des ministres de l’Union européenne. Les ministres des 25, par un vote à la majorité qualifiée, adoptent une position commune, qui ne reprend pas forcément les amendements votés par le Parlement.
Le Parlement a quatre mois pour examiner   une seconde lecture du texte. Son adoption, en session plénière requiert la majorité absolue des 732 députés.
Le texte revient devant le Conseil des ministres qui l’adopte tel quel ou le rejette s’il n’approuve pas la version amendée.
En cas de désaccord, un comité de conciliation a huit semaines pour parvenir à un compromis, avant un troisième vote des eurodéputés.
Les actions de lobbying sont importantes à ce stade, elles ont permis d’orienter le texte dans un sens ou dans un autre, de proposer des options et d’ouvrir leur nombre
Dans le monde des bibliothèques, une association a joué un rôle important en présentant le point de vue des bibliothécaires, devant la Commission, bien sûr, mais aussi devant les eurodéputés auprès de certains d’entre eux mais aussi dans l’hémicycle avec d’autres associations de consommateurs !
Cette association s’appelle EBLIDA.

La directive européenne sur l’harmonisation du droit d’auteur

Quelques rappels généraux

L’harmonisation de la propriété intellectuelle a été souhaitée pour faciliter la libre circulation des biens culturels. Elle répond au souci des instances européennes de créer un marché intérieur européen.
Pour mémoire aussi, le texte de la directive a été conçu et suivi par la Direction générale Marché intérieur de la Commission européenne et non par la Direction Société de l’information ou celle de la Culture
La directive veut aussi assurer la protection des droits des auteurs et des artistes-interprètes dans l’environnement numérique.
Ceci pour répondre aux exigences des deux traités de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle qui ont été adoptés en décembre 1996 afin de pouvoir les ratifier.

Les points clés de la directive

Elle définit les actes de reproduction et de communication au public (de représentation en droit français) qui sont couverts par un droit exclusif ainsi que les exceptions à ce dernier.
La protection juridique des systèmes de protection technique fait également l’objet d’articles spécifiques

Les exceptions

Une exception obligatoire : les copies techniques provisoires transitoires et accessoires qui n’ont pas de signification économique indépendante. Le droit d’auteur ne doit pas s’y appliquer.
Suit une liste exhaustive d’exceptions facultatives
Autrement dit, si les Etats membres peuvent choisir parmi celle-ci, ils ne peuvent pas prévoir une exception qui ne figurerait pas dans cette liste..

J’ai parlé de la procédure d’adoption du texte… On notera que le champ des exceptions au monopole s’est allongé au fil des versions successives du texte de la directive pour englober progressivement la plupart des exceptions traditionnelles de l’ensemble des Etats membres qui peuvent ainsi faire les choix qui leur conviennent. Ce qui laisse planer certains doutes quant à l’harmonisation des législations qui peut en résulter.

Autre point important

Les exceptions sont soumises au test des trois étapes de la convention de Berne, repris dans les traités de l’OMPI. Ce test impose trois obligations qui doivent être cumulées, à savoir que :

  • les exceptions ne doivent s’appliquer que dans des cas spéciaux
  • ne pas causer un préjudice injustifié aux titulaires de droits
  • et ne pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre

Plusieurs autres points ont suscité beaucoup de discussions :

L’indemnisation équitable

Elle est prévue pour certaines exceptions, entre autres pour la photocopie papier et la copie privée numérique.
Les débats ont eu lieu pour savoir à quelles exceptions elle devait être appliquée et sur la forme que devait prendre cette compensation (taxes, rémunération directe), forme qui varie considérablement selon la tradition juridique des divers Etats.
Par exemple, l’exception à des fins d’illustration de l’enseignement et de la recherche, ou celle qui couvre les actes spécifiques réalisés par des bibliothèques et autres établissements ouverts au public ont finalement été inscrites dans le texte de la directive sans compensation – ce qui ne veut pas dire qu’un Etat membre ne puisse plus opter pour cette exception sans prévoir de compensation.
Un lobbying actif n’est pas étranger à la formulation définitive de ces clauses.

Les protections techniques

La directive non seulement encourage le recours à des systèmes de protection technique mais les protège juridiquement contre tout contournement.
Ceci crée une protection à trois niveaux :

  • une protection par le droit d’auteur
  • une protection technique
  • une protection juridique de la protection technique

Ce qui est particulièrement complexe, c’est la relation qui a été prévue dans le texte entre les dispositifs anti-copie et les exceptions :
De manière schématique, il est prévu que lorsqu’une exception est autorisée dans un pays, elle doit pouvoir être exercée même si une protection technique a été mise en place par les titulaires de droit. Il est donc prévu que les titulaires de droit doivent, soit volontairement soit par voie de contrats avec les autres parties, mettre à la disposition des bénéficiaires des exceptions, les moyens de faire des copies et que les Etats membres doivent veiller à ce que ces moyens existent. La copie numérique à usage privé (l’une des exceptions majeures en droit français) ne pourrait être exécutée que lorsque les titulaires de droits acceptent d’en fournir les moyens.
Il est prévu qu’un collège de médiateur soit chargé d’examiner les litiges, ce qui fait craindre de devoir recourir à une procédure complexe et longue.

Pour découvrir l’ensemble du processus d’adoption de la directive :
http://www.europa.eu.int/comm/internal_market/copyright/copyright-infso/copyright-infso_fr.htm

Le projet de loi sur le droit d’auteur

La directive européenne oblige chaque Etat membre de l’Union européenne de compléter sa législation en reprenant les dispositions de la directive qui n’existent pas dans leur droit.
On l’a vu :
De nombreuses options sont proposées dans ce texte au demeurant souvent obscur, ce qui accessoirement laisse planer des doutes sur l’harmonisation qu’il entend obtenir dans la législation des divers Etats.
En France, le projet de loi a été adopté par le Conseil des ministres le 12 novembre 2003. Il devrait être examiné par l’Assemblée nationale le 6 juin 2005 (un report est toujours envisageable). Pour mémoire la directive aurait dû être transposée le 22 décembre 2002 soit 18 mois après la publication de la directive !)
Il ne vous a pas échappé que les associations de professionnels de l’information – 9 en l’occurrence – se sont regroupées et mènent une action autour de ce projet de loi.

Pourquoi ?

Le projet de loi n’ajoute que deux nouvelles exceptions :

  • l’exception obligatoire pour les copies transitoires qui n’ont aucune signification économique (les copies cache) ;
  • l’exception permettant d’effectuer des reproductions adaptées à des personnes handicapées. Cette exception est reprise mais dans des conditions très restrictives et ne pourrait être effectuée que par des établissements dûment accrédités et naturellement à des fins uniquement non commerciales.

Le projet de loi reprend le test des 3 étapes qui permet d’évaluer la pertinence des exceptions.
Il reprend également les clauses liées aux protections techniques, prévoyant un système de médiation pour examiner les recours liés à la délicate articulation entre les exceptions et les protections techniques.

En revanche, il ne reprend pas :

  • l’exception pour des actes spécifiques effectués par les bibliothèques, les archives et les établissements d’enseignement ouverts au public (on imagine qu’il s’agit d’actes permettant la conservation des fonds)
  • ni l’exception à des fins d’illustration de l’enseignement et de la recherche qui auraient permis d’élargir les usages dans des cas bien définis
  • ni la citation qui aurait pu être élargie aux oeuvres graphiques ou plastiques (voire musicales) lors d’utilisation non commerciales.

L’interassociation

Un site : http://droitauteur.levillage.org/
Une pétition mais aussi.
Des prises de position diverses.
On y met l’accent sur le fait qu’un équilibre doit être maintenu entre les droits des auteurs et ceux des utilisateurs, comme la directive le souligne elle-même dan son considérant 31 quand elle dit qu’« il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu’entre celles-ci et les utilisateurs d’objets protégés ».

Ce qui est rappelé c’est que

Pour pouvoir continuer à remplir les missions exercées par les bibliothèques et les centres d’information, quels que soient les supports de l’information, nous souhaitons :

  • que l’information nous soit proposée à des coûts raisonnables et pour des usages raisonnables. Des usages raisonnables permettant par exemple des usages à distance, si ces usages sont accordés à des usagers bien définis dont les usages peuvent être contrôlés
  • pouvoir continuer à assurer des missions de conservation, ce qui est d’autant plus crucial que les risques de volatilité de l’information et de la culture sont accrus.

Il a été rappelé aussi

Que des pans entiers des contenus diffusés sur les réseaux sont librement accessibles et qu’il n’est pas question d’être assujettis à une taxe générale,
Qu’une part importante du budget est déjà consacrée à l’achat d’information et qu’appliquer des taxes ou des tarifs excessifs aura un impact important sur l’accès l’information et à sa circulation.
Qu’il n’est pas envisageable que ces taxes ou redevances soient versées par le public (système déjà écarté pour le droit de prêt   qui ne doit pas être imposé pour des ressources électroniques) ;
Que de nombreuses bibliothèques ou centres de documentation n’ont pas les moyens ni les compétences pour négocier ressource par ressource et fournisseur par fournisseur les tarifs et les conditions de l’accès à des ressources électroniques qu’ils souhaitent mettre à la disposition de leurs utilisateurs. Des négociations globales, comme les licences collectives étendues des pays scandinaves. Oui, sans doute, mais pour représenter quelles bibliothèques ?? ?

Ce qui est proposé :

  • C’est d’identifier :
    les établissements concernés, ouverts au public et qui ne recherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect tels que les bibliothèques, les centres de documentation, les archives, les musées, les espaces publics numériques ;
    les ressources concernées : ressources numériques en ligne, supports électroniques mobiles (cédéroms, DVD, etc.), ressources numérisées après achat, don ou dépôt légal ;
  • donner tout leur sens aux exceptions prévues par le projet de loi :
    donner accès aux ressources numériques et numérisées aux personnes handicapées sous une forme adaptée à leur handicap ;
    permettre la consultation des ressources numériques et numérisées faisant l’objet d’un dépôt légal dans plusieurs établissements dûment accrédités, et non seulement dans trois établissement parisiens que sont la Bibliothèque nationale de France, l’Institut national de l’audiovisuel et le Centre national de la cinématographie.
    confirmer le droit à la copie privée dans le respect du test en trois étapes
  • avoir accès sans contrepartie financière aux ressources numériques qui ne font pas l’objet d’une exploitation commerciale : les ressources numériques gratuites ;
    les œuvres dont l’exploitation commerciale a cessé
  • autoriser certains usages jugés raisonnables :
    au sein des bibliothèques, il faut pourvoir migrer les oeuvres appartenant à leur fonds sur des supports nouveaux à des fins de conservation sans avoir besoin d’en demander l’autorisation ;
    il faut pouvoir indexer, faire des résumés, autrement dit pouvoir traiter librement l’information disponible  au sein des établissements ;
    il faut pouvoir stocker l’information (il serait dangereux que la pérennisation soit uniquement assurée par les fournisseurs d’information)
    pour les services sur place mais aussi à distance lorsqu’il s’agit d’utilisateurs dûment identifiés et opérant via des canaux sécurisés, il devrait être possible de proposer des services des services de consultation, une copie privée sur papier ou électronique d’un nombre restreint de pages ainsi qu’une copie sur papier ou électronique pour l’enseignement et la recherche.
    Une exception devra être instaurée pour les bibliothèques d’enseignement supérieur et de recherche comme c’est le cas dans d’autres pays européens, pour éviter de défavoriser la recherche française.
    Ces usages pourraient être régis par une licence légale pouvant se référer au principe du « prêt payé » introduit par la loi n° 2003-517 du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque

ANNEXE

Les 9 associations :
Association des archivistes français (AAF)
Association des bibliothécaires français (ABF)
Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (ADBDP)
Association des directeurs des bibliothèques des grandes villes (ADBGV)
Association des professionnels de l’information documentation (ADBS)
Association des directeurs et des personnels de direction de bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU)
Association pour la diffusion des documents numériques en bibliothèque (ADDNB)
Association internationale des bibliothèques, archives et centres de documentation musicaux. Groupe français (AIBM)
Fédération française pour la coopération des bibliothèques, des métiers du livre et de la documentation (FFCB).

Et un site : http://www.droitauteur.levillage.org

Circuit simplifié d'une décision communautaire

Michèle Battisti (michele.battisti@adbs.fr)

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