Documentation professionnelle

9. La chanson en feuille au Département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France de 1850 à nos jours

Quelle place pour la chanson au département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France ?

La question de la place de la chanson au département de la Musique se pose non pas en termes de représentativité dans les fonds – car elle y occupe une place importante(1) – mais plutôt en termes de traitement : catalogage et conservation.
Tous les genres se côtoient et la couverture linguistique est assez large. La chanson française est toutefois de loin la plus présente, notamment grâce au dépôt légal qui reste la principale source d’enrichissement : le département de la Musique en conserve les registres d’entrées depuis 1812. Des dons, acquisitions et échanges viennent compléter utilement ces collections.
Ainsi, deux fonds particulièrement précieux pour l’étude de la chanson populaire et folklorique sont à signaler : les fonds Coirault et Weckerlin. Ces dernières années, des efforts tout particuliers ont été fournis pour faciliter l’accès à la chanson en feuille que cet exposé se propose de décrire.

Les fonds de chansons en feuille : introduction

La chanson en feuille se développe dès la fin du XVIIIe siècle : Jacques-Charles Frère est un des premiers éditeurs à diffuser des chansons sur feuilles volantes de petit format et bon marché. Durant la Révolution, il se spécialise dans la publication d’hymnes et chansons patriotiques. La chanson en feuille est née et va connaître une large diffusion tout au long du XIXe siècle, notamment avec le développement des goguettes(2)et surtout des salles de café concert.
Même si le disque va supplanter progressivement la partition – le « petit format » – comme moyen de diffusion, les éditeurs de musique dite « légère » ont continué, et continuent toujours, à produire les « formats ». Ceux-ci, peu à peu, perdent toute fonction commerciale et publicitaire pour servir de nos jours de support juridique permettant la perception par les éditeurs de leurs droits, ainsi que le stipule le règlement d’admission à la SACEM(3).

Les fonds de chansons en feuille sont classés – et donc rangés dans les magasins du département – selon deux principes : les documents sont regroupés en fonction de leur contenu mais aussi de leur format(4).
Les différents systèmes de cotation qui en résultent permettent d’identifier trois ensembles :

  1. la chanson en feuille jusqu’en 1908 : VM7
  2. la chanson en feuille de 1909 à 1941 :
    1. les grands formats : FOL-VM7
    2. les petits formats : 4-VM7
  3. la chanson en feuille à partir de 1942
    1. FOL-VM16
    2. 4-VM16, VMH

En fonction de ces ensembles, ont été effectués ces dernières années des traitements spécifiques de catalogage et de préservation. Pendant longtemps en effet, le traitement de la chanson en feuille a été considéré comme secondaire à la Bibliothèque nationale et ce malgré le nombre important de documents collectés. Certaines partitions sont donc restées très difficilement accessibles.
Des petits formats illustrés de chansons du XIXe siècle, entrés par dépôt légal, ont par ailleurs été redécouverts récemment et prendront place dans les projets de catalogage rétrospectif.

Premier couplet : la cotation dite de « l’ancien porté »

Sous la cote VM7 a été regroupée la musique vocale qui ne répondait pas à un genre particulier et, plus largement, toute la musique qui n’entrait pas dans les autres catégories (musique religieuse, opéras, etc.).
Jusqu’en 1908, la musique en feuille, généralement de grand format, s’y trouve rangée dans des étuis selon un classement alphabétique par compositeur à l’intérieur de grandes tranches de numéros. Un premier classement a été effectué jusqu’en 1905, date à laquelle, sans doute, a été cotée cette partie du fonds. Puis commence une nouvelle série alphabétique pour les années 1906 et 1907. Une dernière série a été ouverte en 1908(5).
Le répertoire est surtout celui de la romance, de la mélodie (Delibes, Koechlin, etc.), mais aussi de la chanson dont l’importance croît sensiblement. La concomitance de la romance et de la chanson montre que l’essor de cette dernière durant la période fastueuse du café concert n’éclipse pas pour autant la romance.
C’est essentiellement par dépôt légal que le fonds a été constitué : les éditeurs parisiens en ont fourni la part la plus importante mais des partitions proviennent également des dépôts en province.

Quelques exemples serviront d’illustration :

  • Les feuillets révolutionnaires, publiés par Frère, Imbault, Coulubrier, Goujon, Savigny, etc., ont été réunis dans cinq étuis (cotes VM7-16311 à VM7-17161(6)) parfois mêlés à des hymnes et autres « Marseillaises » édités à des dates postérieures.
  • Les grands chansonniers sont bien représentés, tel le lyonnais Pierre Dupont (1821-1870), qui écrivit et composa des mélodies originales. Son éditeur, Schonenberger, a fait paraître ses chansons de métier et ses chansons rustiques en partitions séparées, richement illustrées(7).
  • A partir des années 1870, l’activité des salles de café concert, après la construction autour des années 1860 de nouveaux établissements, a pour conséquence un foisonnement de l’édition musicale. Les éditeurs sont nombreux à fournir la musique chantée à la Scala, aux Ambassadeurs ou à l’Eldorado. Certains se « spécialisent » dans la chanson, et l’affichent sur leurs publications tel Charles Grou qui se dit « Editeur de Musique et Chansons ». D’autres n’hésitent pas, même si la chanson n’est pas leur spécialité, à s’y intéresser : Auguste Le Bailly, Georges Hartmann, Louis Bathlot, etc.
    Les registres du dépôt légal apportent des précisions intéressantes sur l’édition de la chanson. En relevant les titres comportant en sous-titre des termes tels que « chanson », « chansonnette », « scie », « scène comique », ou « rengaine » et en corrigeant en fonction des noms des auteurs et des éditeurs, on a pu estimer approximativement le nombre de chansons déposées en une année. A titre d’exemple, sur les 5416 dépôts effectués en 1885, 1378 titres de chansons ont été repérés, soit plus de 25 % du total. Cette même année 1885, le nombre d’éditeurs ayant édité au moins une chanson apparaît relativement important. Pas moins de 107 noms ont en effet été relevés : 15 éditeurs ont déposé plus de 20 chansons ; 9 entre 10 et 20 chansons ; 42 éditeurs toutefois n’ont déposé qu’une seule chanson.
    En supposant que ce nombre de dépôts puisse être extrapolé sur la période la plus faste de l’édition, soit 1850-1908, le nombre de chansons en feuille serait d’environ 80000 dans cette partie du fonds.

Les partitions sont décrites dans le fichier général auteurs, accessible dans la salle de lecture du département de la Musique(8). La recherche par compositeur est la plus pertinente. D’autres fichiers permettent des accès secondaires mais ils ne sont pas exhaustifs : fichier des titres et incipits, fichier des paroliers, fichier des illustrateurs, fichier des matières musicales. Ce dernier comporte un classement par époque, par genre et par thème : chanson politique, sur les prénoms, etc. Il n’est pas possible, toutefois, de faire une recherche par les interprètes, ceux-ci n’étant pas mentionnés sur les fiches(9).

L’ancien fonds de la bibliothèque du Conservatoire de Paris
L’ancien fonds de la bibliothèque du Conservatoire de Paris comprend sous la cote K des doubles de partitions de chansons provenant du dépôt légal. Un exemplaire a en effet été attribué à cette bibliothèque à partir de 1834. La bibliothèque, et par conséquent l’ensemble de ses fonds, a ensuite été rattachée par décret à la Bibliothèque nationale en 1935.
Sous la cote FOL-Y, des chansons ont été réunies en recueils factices, selon une thématique précise. Un ensemble est tout particulièrement intéressant : sous la cote FOL-Y-447, 40 volumes ont été reliés sous le titre « Chansons politiques et de circonstance » puis « Chansons politiques et Actualités ». Les partitions sont le plus souvent de grand format mais on rencontre aussi des petits formats. Le classement étant chronologique de 1870 à 1903, il paraît vraisemblable que ces recueils ont été constitués à la demande du bibliothécaire de l’époque, Jean-Baptiste Weckerlin. Voisinant avec les très nombreuses chansons patriotiques et revanchardes, de petits corpus de chansons peuvent porter sur des événements précis comme les inondations dans le Midi de la France en 1875 ou encore la mort de Victor Hugo.
Des partitions en feuille ont également été reliées par compositeur : sous la cote FOL-Y-97, on trouve par exemple trois recueils factices de chansons de Louis-César Desormes (1841-1898), qui composa En revenant de la revue, créée par Paulus (1886, paroles de Lucien Delormel et Léon Garnier).

Deuxième couplet : la cotation dite du « nouveau porté »

A partir de 1909, un nouveau système de cotation est mis en place à la Bibliothèque nationale. Le lettrage VM7, comprenant la musique vocale, est complété par un format :

La cote 4-VM7 comprend les petits formats de chansons ainsi que des recueils. Sous la cote FOL-VM7, on trouve la musique vocale avec accompagnement de piano, en grand format.

La cote 4-VM7-10 regroupe, dans 39 étuis, des petits formats de chansons classés par compositeur, généralement entrés par dépôt légal. Sous la cote 4-VM7-208 ont été rassemblées environ 300 chansons éditées durant la Première guerre mondiale. Ces documents, entrés par dépôt légal mais aussi par don, n’ont pas été catalogués mais quelques titres se retrouvent dans le fichier général auteurs, pour les partitions déposées également en grand format. Il est prévu de réaliser le catalogage et la sauvegarde de ces petits formats (désacidification).

La cote FOL-VM7, à l’instar de la cote VM7, a été utilisée pour plusieurs genres de musique vocale : romances, mélodies et chansons. Les chansons tirées des revues de music-hall sont particulièrement bien représentées, en particulier les partitions éditées par Francis Salabert. Ce dernier a constitué à partir des années 1920 un véritable “empire” de la chanson, rachetant un grand nombre de fonds (Emile Benoît, Christiné). Les couvertures illustrées, telles celles réalisées pour les revues de Mistinguett, sont particulièrement soignées grâce au concours de Roger de Valerio (1886-1951) qui utilise d’habiles photomontages. Francis Salabert a également fait travailler de nombreux musiciens pour arranger les chansons dont il détenait les droits et que l’on retrouve sous la cote 4-VM15.

La recherche se fait de la même manière que pour la cote VM7, dans le fichier général auteurs.

Un programme de reproduction sur microfiche et de récolement a été entrepris en 2004 pour la cote FOL-VM7. A ce jour, les cotes FOL-VM7 20000 à 32000 ont pu être reproduites. Les documents particulièrement fragiles font également l’objet d’une désacidification, et, dans un petit nombre de cas, d’une restauration.

Troisième couplet : la chanson de 1942 à nos jours

La cote FOL-VM16, ouverte en décembre 1941, fait suite pour partie à la cote FOL-VM7 mais comprend uniquement la chanson en feuille, à l’exception de quelques recueils.
Cette cote est toujours utilisée et compte actuellement plus de 71000 numéros. Le début de la cote correspond à un important dépôt effectué par les éditions Salabert à partir de décembre 1941. La très grande majorité des partitions provenant du dépôt légal, la chanson française de variété est particulièrement bien représentée, éditée par de nombreuses firmes telles que Barclay, la SEMI, France Mélodie, Warner Chappell. Les formats ne présentent pas toujours de couverture illustrée mais certains portraits d’interprètes ont été reproduits de manière originale. Les recueils ou albums de chansons, que l’on trouve généralement sous les cotes VMA ou VMG, sont de toute évidence des « produits » éditoriaux plus élaborés, avec une recherche iconographique plus systématique.
La cote FOL-VM16 est reproduite sur microfiches jusqu’au numéro 58845. Un récolement a été également effectué pour cette même tranche de cotes. La fragilité des partitions a conduit à procéder en même temps à leur désacidification (jusqu’au numéro 26800).

La cote 4-VM16 regroupe des documents de nature plus hétérogène : les nombreuses partitions de musette et autres danses voisinent avec quelques petits formats et arrangements de chansons françaises et étrangères. Cette cote, comportant 14863 numéros, a été arrêtée en 1983 et les partitions n’ont pas été toutes cataloguées dans les différents fichiers.
Quelques petits formats de chansons sont également rangés sous la cote VMH, qui compte pour l’essentiel un vaste répertoire de chansons harmonisées, éditées notamment par La boîte à chansons ou les éditions du mouvement À cœur joie.

Le fonds est presque entièrement accessible par la consultation du catalogue BN-OPALE PLUS(10). Les partitions entrées depuis 1991 ont d’abord été décrites dans BN-OPALINE Musique avant la migration des notices dans BN-OPALE PLUS en mars 2006. Pour la période antérieure à 1990, deux chantiers effectués récemment ont permis d’enrichir le catalogue :

Une opération de rétroconversion du fichier de musique « légère » constitué entre 1946 et 1966
Un catalogage rétrospectif pour la période 1967 à 1990

Le fichier de musique « légère »
De 1946 à 1966, les partitions cotées FOL-VM16 ont été décrites dans un fichier séparé, avec un accès par compositeur et un accès par titre. Les fiches, généralement très succinctes, ne comportent ni la mention de l’éditeur, ni l’incipit textuel, ni l’interprète, à quelques rares exceptions(11). Des mentions de sujet ont été parfois ajoutées au crayon et sont donc interrogeables. Ce fichier comporte également des arrangements de chansons cotés 4-VM16 et des petits formats sous la cote VMH.

Toutes ces fiches ont fait l’objet d’une rétroconversion réalisée entre 2002 et 2004, permettant l’accès aux 19318 notices résultantes par de plus nombreux critères.

Le catalogage rétrospectif
Entre 1967 et 1990, les partitions cotées FOL-VM16 n’avaient pas été cataloguées. Un catalogage rétrospectif a été effectué en même temps que la reproduction sur microfiche des documents dans une base dont les données (33432 notices) ont intégré BN-OPALINE Musique à la fin de l’année 2002. Les notices sont plus complètes que celles issues de la rétroconversion du fichier pour la période précédente car elles comportent les noms des interprètes, l’incipit textuel ainsi que le cotage.

Coda : la chanson en feuille aujourd’hui

L’édition de la chanson en feuille a connu de profonds changements ces dernières années en raison du rachat de nombreux fonds par les grandes « majors » de l’édition : Universal music publishing, BMG, Warner Chappell.
Le dépôt légal, qui reste la première source d’enrichissement, reflète bien cette situation. En 2004 et 2005, les dépôts d’Universal représentaient 75 % des dépôts de musique « légère ».
Les formats déposés ne sont pas commercialisés mais servent de pièces justificatives pour la déclaration des droits à la SACEM.
Le département de la Musique est donc le seul lieu de conservation de ces partitions et se voit confirmer pleinement, si besoin était, sa mission patrimoniale de « conservatoire de la chanson » écrite.


  1. Le département de la Musique de la BnF possède d’importants fonds de partitions de chansons mais aussi d’ouvrages se rapportant à la chanson. Pour plus de précisions sur ces fonds, voir Cornilus (Annie), « La chanson au département de la Musique », Revue de la Bibliothèque nationale de France, n° 16, 2004. Nous nous limitons dans cet article à la musique « légère » diffusée sous forme de feuilles bon marché, comportant une ligne de chant seule ou avec un accompagnement (généralement au piano). Les recueils, les arrangements ou harmonisations de chansons ne seront donc évoqués que succinctement.
  2. Sur l’histoire des goguettes, voir Duneton (Claude), Histoire de la chanson française : de 1780 à 1860, Paris, Seuil, 1998, p. 399-479.
  3. « Peut être admis à adhérer aux Statuts de la société en qualité d’Adhérent, le postulant éditeur qui présente les contrats d’édition d’au moins dix œuvres originales faisant partie du répertoire de la société ou d’une société d’auteurs qui lui a donné mandat de la représenter, qu’il a éditées graphiquement et dont il justifie qu’elles font l’objet d’une exploitation publique » (SACEM, Statuts et règlement général, 2005).
  4. Ce système de classement est appliqué à tous les genres de musique. On trouve, par exemple, sous la cote VM1 la musique religieuse et sous la cote VM2 les opéras français. En 1909, des formats ont été ajoutés pour faciliter le rangement dans les magasins. Depuis 1942, le système de cotation est basé uniquement sur le format des documents.
  5. La cote VM7 comprend 137326 numéros. On y trouve en outre des recueils de chansons tel La chanson à Montmartre (VM7-17647) – qui réunit, entre autres, des chansons de Fursy, Eugène Lemercier, Vincent Hypsa – mais aussi des recueils de romances. Signalons également que le début de la cote est constitué par des partitions des XVIIe et XVIIIe siècles, notamment des recueils d’airs, de cantates, mais aussi de la musique purement instrumentale.
  6. Pour le détail des cotes, voir Pierre (Constant), Les hymnes et chansons de la Révolution : aperçu général et catalogue, Paris, Imprimerie nationale, 1904, p. 176-178.
  7. Ces chansons ayant connu un grand succès, elles ont également été éditées en recueils que l’on peut consulter dans les collections du département Littérature et art de la BnF (Les volumes sont aussi accessibles dans Gallica, http://gallica.bnf.fr/, sous les cotes NUMM-208346 à 208348).
  8. Ce fichier est également consultable sous forme de microfiches.
  9. La rétroconversion de ce fichier est actuellement en cours, sous la responsabilité de Sébastien Gaudelus, conservateur au département de la Musique. Les illustrateurs étant, quant à eux, souvent indiqués sur les fiches, le cahier des charges de la rétroconversion prévoit d’établir un accès pour tous les noms rencontrés.
  10. Quelques partitions sont décrites dans le fichier général auteurs. Les notices seront consultables en ligne après la rétroconversion de ce fichier.
  11. La mention du nom de l’éditeur, absente sur les fiches, a pu être ajoutée dans les notices grâce à un rapprochement entre des données saisies à partir des carnets de cotes et des registres des entrées du dépôt légal.

Marguerite Sablonnière
Département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France

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